Les ligneurs d’Audierne

Les ligneurs à l’assaut des vagues de la mer d’Iroise

 

C’est un genre de rodéo sur les déferlantes, à la différence que la moindre chute est fatale. L’action se déroule au beau milieu de la Mer d’Iroise, au large des iles de Sein et d ‘Ouessant, là où les vagues de l’Atlantique terminent leur course folle en se mélangeant aux courants de marée. Le temps d’une journée infernale, nous avons suivi deux marins solitaires et téméraires : Jean et Mik, chacun dans leur style, chevauchent leur monture surpuissante pour affronter une mer en ébullition. Armé d’un simple fil de pêche et de quelques leurres, les pêcheurs de ce far ouest breton n’arrachent à la mer que ce qu’elle veut bien leur donner. A chaque sortie, ils risquent leur peau pour l’un des poisson les plus recherché des côtes françaises….le bar…
Réalisation : Herlé JOUON Mixage : Auvitec, Lionel THIRIET Année : 2011 Diffusion : FRANCE 3 – Thalassa Production : Via Découvertes Production Pays : France Retrouvez touts les documentaires sur la playlist : https://www.youtube.com/watch?v=3Z_at… #Thalassa #Documentaire #Ouessant

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1 réponse

  1. Henry Gazay dit :

    Les Ligneurs

    Elle est là, au loin, la Pointe. Imposante de grandeur, portant en elle les âmes de tant de naufragés.

    En naviguant plein ouest, la cote se déchire dans l’océan au bleu profond et se déchiquette le long des vagues et de l’écume blanche. Remonter la côte de Plogoff est comme un pèlerinage vers un lieu sacré, une voie empruntée seulement par quelques initiés, qui entrent toujours avec respect dans la majesté de ce temple marin.
    A l’arrivée sur le Raz, au jusant, la mer parait comme le dos d’un gigantesque animal assoupi. Les longs mouvements de houle ressemblent à la respiration d’un monstre marin de légende qui, pendant quelques minutes – le temps de l’inversion des marées – se repose d’une lutte géante et éternelle.

    D’ailleurs tout semble engourdi dans un repos trompeur. La mer, dont le bleu-vert joue avec les rayons du soleil, les oiseaux, alignes en silence sur le « Gorle Greiz », la Vieille soumise aux assauts incessants de la vague semble se reposer un instant, la plate seule au milieu des courants, les voiliers qui profitent de cette absence de vigilance de la lune pour se frayer silencieusement un chemin dans le dédale des roches. Et là-bas, tellement fine qu’elle parait presque sous l’horizon, l’Ile de Sein, qui depuis l’automatisation des phares, est désormais la seule à connaitre les fureurs de ce lieu.

    Deux ou trois cormorans volent en ligne droite, leurs longs cous tendus comme les flèches noires d’un archer à l’affut d’une proie.
    Quelques fous de Bassan tournent autour des roches et se posent nonchalamment sur les ilots blanchis par des générations de fiente.

    De longues stries marquent la surface de la mer, qui lentement inverse le sens de son cours.

    Au loin de petites formes se devinent sur l’horizon. D’Audierne et de Sein, les ligneurs fendent l’onde pour arriver à temps sur le théâtre des opérations. Les voiliers eux, ont déjà disparu pour laisser libre la place au combat qui se prépare.

    Au pied de la Vieille, le courant forcit. La mer dont la transparence va du vert d’eau au bleu marine se pare d’écume blanche, de mousse froide qui tourbillonne le long de la roche. Les oiseaux s’éveillent, un a un, et s’envolent en silence au-dessus du raz. Sous leurs ailes, se forme un véritable bouillon marin inexorablement soumis à l’attraction des astres. Des tourbillons se créent, vortex imprévisibles dans une mer qui maintenant semble en ébullition.

    Les ligneurs s’approchent des courants qu’ils contournent d’abord pour mieux observer le cadre de leur pêche.

    Un premier bateau s’aventure pourtant dans « le jus ». Le ligneur guide sa coque dans la vague, pour se placer dos au courant. La mer maintenant très hachée force un tangage peu naturel. Pour le compenser, le ligneur accélère et coupe brusquement son moteur, pris dans un pas-de-deux gigantesque avec l’océan. Mais les forces en présence ne sont pas égales. Que peut un frêle esquif face à des millions de mètre-cubes d’eau attirés par la lune? Il tangue, il roule, et part latéralement emporté par des courants de plus de 7 nœuds qui le poussent hors du lieu de chasse. Déjà les autres bateaux se placent à leur tour sur cette immense scène liquide, comme les pions d’un jeu d’échec géant qui va commencer.

    Sur la crête du Raz, la mer ressemble maintenant à une monumentale clepsydre qui se dévide d’un réservoir à l’autre. Le long du rocher de la Vieille le courant glisse à vive allure en créant mille teintes de bleus, de verts, de blancs et en formant des tourbillons d’écume où se nichent les Bars.

    Et puis à un moment, à un moment précis, les oiseaux donnent le signal: La chasse est ouverte. Un premier fou de Bassan plonge en pique de plus de 20 mètres dans l’écume des courants. Un deuxième oiseau le suit, et une ronde s’établit entre le ciel et la mer. Les ligneurs, à l’affut, attendaient ce signal pour se diriger vers cette zone ou les bars chassent et sont chassés dans l’écume.

    La connivence entre l’homme et l’oiseau est manifeste. Les bateaux dansent sur le courant, tanguant, roulant, chassant dans une mer toujours plus forte et les oiseaux se groupent par dizaines au-dessus des ligneurs formant une couronne aérienne à ce ballet nautique. Les lignes sont lancées et se tendent fermement, emportées par le courant qui tire sur les appâts avec force.

    Dans son bateau, l’homme fait corps avec toutes les membrures de la coque. Il n’y a plus de distinction entre le marin et l’étrave, ensemble ils deviennent « le Ligneur ». Et le Ligneur est habile, rapide, puissant. Il s’adapte aux courants, joue avec la houle, et c’est au cœur de la tourmente que le Ligneur mène son combat. Un combat non pas avec le poisson, mais avec la nature. D’ailleurs le Ligneur ne pêche pas; il chasse. Il chasse à armes égales avec le loup des mers, ce poisson noble et fin. Et par cette chasse il rend hommage à cette nature si dure et si grandiose, si chaste et si splendide.

    Cette nature qui fait du Ligneur, cette fusion entre l’homme et la machine, un héros solitaire dans l’immensité soumise aux forces telluriques, une sorte de Demi-Dieu en osmose parfaite avec le ciel, la mer, le vent et les oiseaux. Cette nature qui glorifie une pêche unique, pour en faire une des plus belles au monde.
    Pourtant, il arrive parfois que le bateau soit le talon d’Achille du Ligneur. Embarquée par une vague plus grosse que les autres, au milieu du courant, la coque peut se retourner versant à la mer l’Homme qui a osé défier le cours de la nature.
    Nul ne l’ignore, et tous demeurent modestes. Alors qu’ils retournent vers le port, les bacs pleins de leur trésor argenté, ils respectent la mer, toujours la plus forte, et savent que les présents qu’elle offre au bout de leur lignes, ne sont donnés en offrande que parce qu’elle le veut bien.

    Henry Gazay
    Pointe du Raz – Juin 2015

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