La passerelle des Capucins

Ultime maillon du chemin de halage d’Audierne

par Paul Cornec

La passerelle des Capucins(A. Kersual)-Collection Paul Cornec

Les cartes postales anciennes en font foi : depuis sa construction en 1894, la passerelle des Capucins a constitué un sujet privilégié pour l’objectif des photographes, et elle demeure, cent ans plus tard, le passage favori des promeneurs qui arpentent le chemin de halage, des quais du port au môle du Raoulic. Et il faut en convenir, le cadre est magnifique ! Campée face au grand large sur la rive droite du Goyen, adossée à la « Montagne des Capucins » et surplombée par la masse des chênes verts de l’enclos de l’ancien couvent, notre passerelle fait un peu figure de star du patrimoine portuaire audiernais. Elle n’était pourtant pas prévue dans le projet initial de 1854 du chemin de halage, dont elle constitua l’ultime maillon.

Audierne ne s’est pas fait en un jour. Notre port n’a gardé trace ni des temps préhistoriques, pourtant très riches sur cette côte Sud du Cap-Sizun, ni des premiers siècles de notre ère qui virent s’étendre les villas gallo-romaines sur les plateaux dominant le Goyen vers Pont-Croix. Les vasières, ponctuées de quelques ouvrages rustiques, étaient alors de simples grèves d’échouage.

La passerelle vue de Poulgoazec

La passerelle vue de Poulgoazec

En 1626, les Etats de Bretagne autorisent les habitants d’Audierne à lever pendant six ans six deniers par pot de vin pour subvenir aux frais de construction de quais et de cales. Cette période correspond à l’âge d’or d’Audierne, qui armait alors une nombreuse flottille que l’on pouvait rencontrer dans tout l’espace maritime européen. Et d’importants chargements de vin transitaient alors par notre port, qui figurait parmi les plus actifs de la côte bretonne !

Mais quelques cent soixante années plus tard, à la Révolution, ces installations sont en ruine et ne constituent plus que «quelques ouvrages informes », car la dégradation de la situation économique n’en a pas permis l’entretien régulier. En 1788, le corps politique de la cité demande instamment au roi, en vain, «de fixer une somme quelconque au rétablissement de son port qui court à son anéantissement ».

La jetée et la passerelle

Pourtant, les sollicitations incessantes de l’audiernais Guezno auprès de la Convention dont il est un membre éminent, décideront le Directoire du Finistère à débloquer, en 1791, 1200 livres «pour les réparations et exhaussements à faire à la jetée construite à l’entrée du port d’Audierne à l’endroit dit de la Roche Noire ». Ce môle de 80 mètres de long sur 8 mètres de large, avait été commencé en 1768 sur ordre des Etats de Bretagne, pour une raison qui est restée d’actualité : il fallait rétrécir le lit de la rivière afin de creuser plus profondément le chenal menacé d’ensablement. Mais l’argent dut manquer car l’ouvrage resta inachevé et rendit même l’entrée du port plus périlleuse, les coups de boutoir des vagues ayant disjoint les blocs de granit qui formèrent autant d’écueils sur les bancs de sable alentour. L’entregent de Guezno, gloire révolutionnaire audiernaise, permit donc de terminer ce vieux môle qui, de l’Abri du Marin à l’entrée de la passerelle, constitue en fait la partie la plus ancienne du chemin de halage. Aujourd’hui encore, le promeneur en distinguera aisément l’appareil plus rustique que celui du reste du chemin de halage, plus lissé, auquel il sera incorporé.

La passerelle et le môle à contre jourL’infrastructure du port ne va réellement commencer à se moderniser que sous la Restauration : l’administration de Louis XVIII approuve un projet général d’amélioration du port qui comprend la construction de 530 mètres de quai et de 5 cales de débarquement. Ces travaux dureront de 1819 à 1846.
Puis l’entrée du port se déplace du vieux môle au môle du Raoulic, le môle de Nemours, construit de 1847 à 1854, afin d’en faciliter l’accès rendu difficile par suite de l’exhaussement d’une barre de sable qui en obstrue l’entrée. On pensait que le courant, forcé de suivre l’ouvrage, jouerait le rôle de chasse et creuserait un chenal fixe.

L’ingénieur «ordinaire » des Ponts-et-Chaussées Havé l’imaginera d’abord sous forme de trois estacades en arc de cercle, puis mixte (90 mètres de passerelle métallique pour 32 mètres en pierre), mais la commission nautique du 21 août 1890, composée de professionnels de la mer d’Audierne et de Plouhinec, lui donnera son aspect définitif : la totalité sera établie sur des pieux métalliques qui laisseront les vagues courir librement sur la grève.
La construction sera confiée à l’entreprise Charles Faga de Lorient en 1893 et la réception des travaux, aussitôt suivie de la mise en exploitation de l’ouvrage, aura lieu le 24 juillet 1894. La passerelle remplira bravement son office pendant des décennies : nombreux sont les capistes qui se souviennent encore des équipes de haleurs arc-boutés sur leur remorque. Les plus jeunes se référeront aux cartes postales d’époque…

La passerelle en 2002

C’est un courrier des Ponts-et-Chaussées qui va refaire parler de la passerelle en 1960. L’ingénieur y expose au maire que l’ouvrage est en très mauvais état et qu’il ne présente plus d’intérêt portuaire, les moteurs dont tous les bateaux sont maintenant équipés ayant supprimé le halage. Il envisage donc d’y faire interdire la circulation pour éviter tout accident et propose à la ville d’Audierne une autorisation d’occupation temporaire du domaine public maritime, sous condition de prise en charge par celle-ci des frais de remise en état ou de démolition. Le conseil municipal, n’imaginant pas un instant la disparition de cet élément de notre patrimoine, accepte aussitôt cette proposition et l’incorporation de la passerelle au domaine public communal est officialisée le 7 février 1961. Mais son entretien coûte cher et les municipalités successives se borneront à parer au plus pressé, notamment en procédant au changement de certaines poutres du tablier.

La passerelle, vue du chenal d’entrée

A l’orée du nouveau millénaire, la passerelle présente une structure gravement attaquée par la rouille et son état est alarmant. Les solutions d’attente et les mesures dilatoires ne sont plus de mise et le conseil municipal d’Audierne prend la décision majeure de procéder à la réfection complète de l’ouvrage, dont le coût avoisine les trois millions de francs. Le dossier de financement est lancé, la population sensibilisée, des sponsors contactés. La maîtrise du chantier est confiée à l’entreprise France-Levage, qui va employer les techniques les plus modernes pour restaurer la centenaire à l’identique. Les travaux menés en 2001 et 2002 révéleront que l’ouvrage, conçu par l’ingénieur Havé selon les techniques développées par Eiffel, avait su traverser vaillamment le 20e siècle malgré le milieu marin particulièrement agressif et des conditions extrêmes. Sous le soleil radieux de ce début de juillet 2002, un cortège de personnalités mêlées à de nombreux Audiernais, emmené par un air guilleret de binious et bombardes, fêtera la renaissance de la passerelle par une joyeuse traversée inaugurale. Et quelques jours plus tard, le traditionnel feu d’artifice du 14 juillet, désormais tiré sur le site, illuminait la passerelle ressuscitée sous les applaudissements d’une joyeuse foule de touristes et d’Audiernais.

Texte de Paul CORNEC

Collection de cartes postales de Roland BORDAS

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