Naufrage du sloop « Liberté » – Ouest-Eclair

Ouest-Eclair du 26 janvier 1918

UNE BELLE PAGE DE GLOIRE
Les marins de l’île de Sein sauvent 13 matelots anglais

Quimper, 26 janvier 1918. – de notre correspondant particulier :

Ceci se passe devant Sein, l’île auréolée déjà par l’héroïsme trop souvent tragique de ses gars robustes, la légende qui l’auréolait vient encore de s’accroître d’un nouveau rayon glorieux, écoutez plutôt.

Le mardi 15 janvier 1918, en pleine tempête, toute la population de l’île est en émoi ; un canot monté par 20 hommes, constituant partie de l’équipage du steamer War Song, est venu se jeter dans les brisants si dangereux de « Port-Caïk ».

Groupés sur la plage, la digue et les rochers, les insulaires sont là haletants, terrifiés, impuissants devant ce drame sinistre. Quelle torture ! Au moment où le recteur de l’île, monté sur un roc élevé vient de dessiner le geste de pardon, une lame terrible chavire l’embarcation : « Ma Doué ! il est perdu ! » crie-t-on de tous côtés. Un instant après, le canot, remonté à la surface, reparaît la quille en l’air ; quatre ou cinq hommes se cramponnent désespérément, pendant que leurs compagnons, dispersés dans l’écume, luttent contre l’élément déchaîné. Ils portent heureusement des ceintures de sauvetages. On voit leurs têtes émerger ; l’émotion est à son comble.

Soudain, des jeunes hommes accourent ; c’est un groupe de matelots et de poilus en permission qui assistaient au repas de noce d’un de leurs camarades, et qui ont planté là la fête pour courir sus au danger, le nouveau marié en tête. L’émotion décuplent leurs forces ; de leurs bras vigoureux, ils soulèvent un canot qu’ils font passer par dessus la jetée : le père Mathieu Porspoder, un vieux loup de mer, saute dedans avec cinq ou six de ces braves et les voilà qui souquent sur les avirons. Plusieurs, ne trouvant pas de place dans le canot, se jettent à la mer ; parmi eux se font remarquer les hardis marins du petit sloop qui fait le service de l’ile à Audierne.

Guillaume Jaouen, 17 ans, le meilleur nageur de l’île s’avance. On le voir bondir sur les vagues énormes, puis disparaître. Un instant après, il reparait, ayant accroché un naufragé qu’il tient par les cheveux. Il nage vers la côte, laisse son homme aux mains d’autres personnes, puis il retourne lutter contre la mort et le voilà de nouveau dans les brisants d’où il arrache une seconde victime.

Corfdir Jean Yves, 18 ans, rivalise d’héroïsme avec son camarade. Dans le terrible ressac, il vient de saisir un naufragé, quand il entend des cris d’enfants appelant sa mère : c’était le petit boy (mousses) qui se débattait dans les flots.

« Oui, oui, mon petit, lui dit Corfdir, je suis à toi ! « 

En deux brasses, il le rejoint et, comme il est d’une force peu commune, il franchit les brisants avec sa double prise et passe l’enfant à un autre sauveteur, François Spinec.

Louis Guilcher, 2ème maître mécanicien, en permission, n’a pas été moins admirable. Il sauve à lui tout seul trois victimes, Masi à bout de forces, on doit le sauver lui-même.

Pendant plus d’une heure, ce fut ainsi un spectacle d’une rivalité d’héroïsme incomparable. Au prix d’efforts inouïs, treize naufragés ont été arrachés à la mort. Transi de froid, ils furent l’objet des soins les plus empressés tant de la part des habitants que du maire et du médecin de l’île.

Malheureusement, sept hommes sont restés la proie de l’Océan. Le lendemain et le surlendemain, on retrouva leurs cadavres qui furent ensevelis dans des draps, le bois faisant défaut. Chaque cadavre était recouvert du drapeau tricolore. A moment de l’enterrement, le petit mousse suivait, portant le drapeau anglais.

Un torpilleur de Brest vint prendre les treize naufragés. On ne saurait dire combien la séparation fut émouvante. Les malheureux embrassaient leurs sauveteurs : on entendait que  » Hip ! Hip ! Hourra ! French ! «  A leurs bravos, les îliens répondaient de toutes leurs forces : « Vive l’Angleterre ! « 

Une alliance scellée par de tels dévouements ne peut qu’être désormais inébranlable et quant à nos marins de l’île de Sein, ils viennent d’ajouter une nouvelle page à leur livre d’or.

 

Recherche d’archives journal Ouest Eclair – Jean Jacques Pérès – Bar de la Mer -Audierne

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